Douleur

Douleur

«J&#39;ai retrouvé ce journal dans deux cahiers des armoires bleues de Neauphle-le-Château.<br /> Je n&#39;ai aucun souvenir de l&#39;avoir écrit.<br /> Je sais que je l&#39;ai fait, que c&#39;est moi qui l&#39;ai écrit, je reconnais mon écriture et le détail de ce que je raconte, je revois l&#39;endroit, la gare d&#39;Orsay, les trajets, mais je ne me vois pas écrivant ce Journal. Quand l&#39;aurais-je écrit, en quelle année, à quelles heures du jour, dans quelles maisons ? Je ne sais plus rien. [...]<br /> Comment ai-je pu écrire cette chose que je ne sais pas encore nommer et qui m&#39;épouvante quand je la relis. Comment ai-je pu de même abandonner ce texte pendant des années dans cette maison de campagne régulièrement inondée en hiver.<br /> La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot «écrit» ne conviendrait pas. Je me suis trouvée devant des pages régulièrement pleines d&#39;une petite écriture extraordinairement régulière et calme. Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n&#39;ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m&#39;a fait honte.»<br /> Marguerite Duras.